30 janvier 2006
A la recherche de la démocratie
Suite à plusieurs commentaires et messages reçus, ici-même ou par mail, je vous livre un extrait d'un texte que je prépare pour une (éventuelle) contribution à un ouvrage sur la démocratie.
La démocratie est un mot, d’abord. Mais aussi un espoir né chez et par les grecs anciens (ceux-là qui, malheureusement, ont également condamné Socrate à mort…). Il aurait pu n’être qu’un concept philosophique ou un principe politique. Il aurait pu être transcendant comme un dieu ou une révélation. Il n’en fut rien. Il n’en est rien. Il n’est resté qu’un espoir, toujours déçu, jamais assouvi, ni dans le temps, ni dans l’espace. Au point que les hommes en sont assoiffés, parce qu’ils ne parviennent pas à en rejoindre la source – ou qu’on leur interdit de s’y désaltérer, s’ils la découvrent.
La recherche d’une autre chimère explique sans doute cette souffrance due au déficit de démocratie. Cette chimère se nomme bonheur, autre mot des plus galvaudés et qui, paradoxalement, justifie tous les dérapages passés et possibles. En fait, le langage, présenté comme véhicule d’échange et de compréhension, de transmission aussi, se révèle receler beaucoup de mystère, en apparence, selon l’utilisation qui en est faite. Ce qui devient de la pure mystification, selon moi. Le bonheur est, lui aussi, un rêve. En tout cas, il n’est un état que pour celui qui le vit. Le bonheur n’est pas exportable.
D’autant que l’image qui en est transmise aujourd’hui est tellement factice, tellement matérielle, mais aussi – et ce n’est pas contradictoire – tellement virtuelle, qu’elle est une agression cynique et permanente contre le libre arbitre. Tellement enveloppante que chacun croit baigner en elle, alors qu’il ne peut la vivre que dans son imaginaire. Un bonheur en trompe l’œil, destiné à évacuer le cogito au profit du réflexe pavlovien. On voudrait que les hommes s’accoutumassent à un espoir borné à la représentation d’une cage dorée. Placebo sur les difficultés de vivre, sur les blessures dues aux séismes et aux horreurs de l’injustice. Mais il ne s’agira que d’une cage qui n’est faite que de barreaux et demeure constamment fermée.
Pour en arriver à cette situation, il aura fallu que les hommes commettent bien des erreurs et subissent bien des manipulations. C’est ce que j’appellerai l’argument de l’Histoire. Quand elle est contemporaine, elle se construit, elle est le moment de l’accomplissement. Elle utilise, par la voix de ceux qui la font, des principes qu’ils présentent comme conséquences du passé, qu’ils les aient dévoyés ou non. De cette façon, ils parviennent à la destruction des repères anciens, tentant d’enlever aux générations actuelles les tremplins dont elles ont besoin pour vivre et auxquels elles tiennent parce que durement acquis. Elle en propose aussitôt d’autres, soit disant fruits de l’expérience et qui prennent la forme de vérités générées à la fois par empirisme et rigueur scientifique et donc présentées comme produits d’un déterminisme absolu qui leur confère une légitimité inéluctable. On perçoit bien, à l’analyse, une manipulation, un discours factice qui risque d’anéantir l’effort de résistance auquel appelle l’exercice de la liberté individuelle. C’est l’histoire des hommes qui est tronquée. Révisée. A chaque instant. On la destine à tuer le pluralisme, la créativité, la différence et… l’insoumission. Les révolutions, toutes les révolutions, ont été volées, détournées à cette seule fin. Toutes les idéologies se développent sur le même schéma. Toutes se gonflent pour se faire aussi grosses que le bœuf et éclatent, par leurs excès, et laissent place immédiatement à d’autres, qui emprunteront le même chemin. Tandis qu’en filigrane demeure la soif et le goût du pouvoir des uns qui édictent leurs lois d’airain et se jouent de la soif vitale de démocratie et de liberté dont voudrait se vivifier l’argile que sont les autres.
Les lois humaines, qui devraient favoriser la vie collective des populations, qui devraient refléter les règles qu’elles se donnent, qui devraient définir les droits et les devoirs qu’elles s’attribuent unanimement, ces lois n’existent pas. Celles sous l’emprise desquelles nous vivons n’ont jamais été dictées par les aspirations populaires, je veux dire du plus grand nombre. Et dans aucun pays. Elles sont l’œuvre de ceux qui détiennent jalousement le pouvoir, fut-il acquis « démocratiquement » ( entendez par des élections ) ou non, bien qu’en réalité, il soit détenu par ceux qui veulent posséder et diriger les hommes sans concession. Elles sont imposées aux peuples sous couvert d’ordre, de grandeur des nations, de solidarité, d’équité et de justice qui ne sont que des prétextes et des mots vidés de leur sens premier, constamment trahis dans les actes. En vérité, même quand elles ne sont pas la conséquence de violences dictatoriales, elles n’en appellent pas à l’assentiment populaire, malgré les apparences. Les institutions et leur fonctionnement veillent, en effet, à la fois à sauvegarder l’alibi démocratique des élections et à éviter ou à limiter toute intervention populaire dans la gestion des affaires publiques. Aujourd’hui, ces lois sont la traduction de ce que certains appellent les lois économiques et sont appliquées sans aucun ménagement à ceux qui les subissent. Ce sont des lois d’airain. L’airain est dur, incassable et froid et ne se laisse pas modeler, à l’inverse de l’argile, terre malléable et manipulée, je veux parler des peuples. Tout est dit.
Je n’irai donc pas chercher dans une quelconque philosophie une nouvelle vérité salvatrice venue d’on ne sait où. A cause de tout ce qui précède, je me garderai de traquer quelque nouvel espoir systématique ou de prêcher une autre croisade pour le bien des hommes, appuyée sur une impensable idéologie dont quelques-uns possèderaient secrètement les clés. Ni expert, ni idéologue, ni philosophe, ni savant, seulement électron libre, je n’aurai de cesse de chercher à comprendre, à contredire, à déchiffrer et démonter ces mécanismes monstrueux qui, à la fois, mentent aux hommes et les détruisent. Un monde injuste est l’instrument de cette praxis de domination.
Le monde est injuste. Chacun le sait. Personne ne veut le reconnaître. Tous semblent s’en accommoder, qui par ambition, qui par soumission. Par paresse. Par inhibition. Par couardise et veulerie. Par nihilisme, aussi. Parce que, « de toute façon ça ne sert à rien ». C’est comme ça. Les ambitieux en profitent. Les fatalistes se recroquevillent et les rêveurs s’évadent. Parfois des individus se révoltent, tel Spartacus. Ils seront anéantis.
Anéantissement par la volonté de ceux qu’ils contestent, qu’ils dérangent. De ceux à qui ils s’opposent ou qui les craignent. Qui veulent préserver leurs privilèges ! Accrochés à leur pouvoir. Anéantissement aussi par le silence des autres. Tous responsables. L’irresponsabilité, la neutralité n’existent pas. Anéantissement quotidien. Dans les génocides. Dans les guerres géopolitiques, menées à cause d’objectifs absurdes tels que le pouvoir, les ressources économiques et l’argent. L’agonie de peuples entiers n’entre pas dans la morale politique. Mais il n’y a pas de morale politique défendable. Aucune morale n’est défendable lorsqu’elle autorise l’assassinat, l’asservissement, l’oppression, la pression, le harcèlement. La seule morale vivable, recevable et juste ne peut naître que de l’individu unanime.
Les interrogations philosophiques peuvent tenter d’y avoir recours, à la condition de ne pas se tromper d’objet. Le seul objet de la morale c’est l’être humain. Ce sont les hommes. Aucune parade, aucun obstacle ne peut être élevé contre ce constat. Pourtant, les démarches philosophiques, même si elles prétendent le contraire, ne nourrissent pas une morale humaine unanime. Elles s’en détournent. Elles instruisent plutôt des catégories, elles opèrent des choix. « Selon que vous serez riches ou misérables… ». L’Amérique dominatrice tue Socrate chez elle et ailleurs tous les jours, à l’instar des grecs anciens. La planète « globalisée » aussi. Sans vergogne. Sans retenue. Les terrorismes fondamentalistes et intégristes aussi. Et pourtant, les hommes n’aspirent qu’à leur liberté. Fondamentale. Celle de vivre par eux-mêmes. Voilà la seule morale défendable.
Le début de ce siècle n’offre pas la plus belle image de l’humanité. Il en détruit même de nombreux attributs, comme il pille et gaspille les ressources naturelles. Sous prétexte de création de richesse… Certes, nous ne retournerons pas vers le passé, et c’est tant mieux. Tout est à construire, une fois de plus, car tout a été rasé sans ménagement. Reconstruire sans le spectacle. Sans la logorrhée politique, sans les philosophies sectaires et verbeuses. C’est au plus près de soi que commence l’édification de la société nouvelle. Exactement là où s’arrête sa propre liberté pour laisser place à celle des autres. Le contraire du laissez-faire. Le courage ne doit pas manquer. L’espoir est le ressort essentiel pour l’avenir. Ne rien faire, accepter, c’est être impardonnable. Ce n’est plus être humain.
On voudra bien m'excuser pour la longueur du texte, mais en petits morceaux il ne veut plus rien dire...
16:35 Publié dans Élucubrations, coups de gueule, politique, société | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : vive la vie, politique, blog